Une ressource énergétique peu coûteuse dont l'utilisation améliore la situation sanitaire : c'est le double objectif de l'utilisation de déjections humaines séchées comme combustible industriel.
La matière fécale, nouvel or noir ? La production de gaz combustible à partir des excréments a déjà été mise en oeuvre dans plusieurs parties du monde. Mais cela nécessite des installations spécifiques et coûteuses. L'utilisation directe de déjections humaines séchées comme combustible solide pourrait être plus efficace. C'est ce que montre une étude menée par l’Institut de Recherche de l'Eau du Domaine des Ecoles Polytechniques Fédérales suisses (Eawag) en partenariat avec les universités Cheikh Anta Diop de Dakar, au Sénégal, de Thiès, aussi au Sénégal et Makerere de Kampala, en Ouganda.
Le principe est simple. Pour obtenir le combustible, il faut récupérer la matière fécale, puis la faire sécher, avant de la brûler comme du charbon. Pour mesurer les performances de cette technique, les chercheurs l'ont mise en oeuvre sur le terrain, à Dakar et à Kampala.
Charbon, café ou matière fécale ?
Ils ont testé leur combustible dans deux types d'installations industrielles. La première, à Dakar, est une réplique de l’usine de renouvellement des huiles usées de la Société Sénégalaise de Régénération des Huiles minérales. La seconde, à Kampala est une réplique d’une usine de séchage de briques.
Leurs analyses ont porté sur le potentiel calorifique de la matière fécale, comparé à celui du charbon et à celui de coques de cafés, combustible employé dans les chaudières des usines Unilever ou Coca-Cola au Kenya par exemple.
Températures et valeur énergétique
Résultat : la combustion de matière fécale s'est déroulée sans inconvénient. Les déjections humaines sont toutefois légèrement moins efficaces que le charbon ou les coques de cafés. Une première expérience dans les installations de Dakar comparait les coques de café avec la matière fécale en brûlant une heure chaque échantillon. Les coques ont ainsi permis d'atteindre une température moyenne de 554°C (800°C au maximum).
Avec la matière fécale, la moyenne est de 524°C, et le maximum ne dépasse pas 700°C. À Kampala, les chercheurs se sont intéressé à la valeur calorifique en comparant la matière fécale au charbon cette fois-ci. Le charbon produit 31 mégajoules par kilogramme, contre 10,9 à 13 mégajoules par kilogramme pour la matière fécale. Une différence importante, mais qui peut être compensée en mélangeant les différents combustibles.
Économies et assainissements
Les chercheurs indiquent que cette technologie pourrait être utilisée très rapidement. « Nous pouvons déployer cette technologie dans l’année s’il le faut », s’enthousiasme Linda Strande, d'Eawag, qui a participé au projet. Selon elle et ses collègues, «les connaissances de la combustions des boues d’épurations (tirées du traitement des eaux usagées) sont transférables pour la matière fécale ». Une façon de faire des économies d’infrastructures.
Mais avant d'alimenter des usines en matière fécale, il faudra mettre en place un système de récupération, de stockage et de traitement, ce qui nécessitera des investissements. Le coût n’est pas estimé par l’équipe : «C’est une question difficile. Cela dépend ce que vous prenez en compte, c’est difficile de faire un calcul exact », explique Linda Strande.
D'autant que les gains sanitaires tirés de telles infrastructures pourraient aussi être importants. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, 842 000 décès chaque année sont dus au manque d’eau, d’assainissement et d’hygiène dans les pays à revenus faibles ou intermédiaires. L’Afrique est particulièrement touchée : dans 47 pays d'Afrique sub-saharienne, moins de la moitié de la population a accès à des toilettes
Référence: M. Gold et al., Journal of Water, Sanitation and Hygiene for Development, 7, 1, 2017.