Pour qu'il y ait plus de femmes en science, il faut déjà mesurer leur présence.
Sommes-nous invisibles ? Qui ? Ben, les femmes !
Vous savez, cette autre moitié de l’humanité. Sommes-nous si insignifiantes que les gouvernements ne font pas de la lutte contre les violences faites aux filles et aux femmes une priorité nationale absolue ?
Travail non rémunéré
Que le travail non rémunéré réalisé principalement par les filles et femmes (soin des enfants, soin aux personnes âgées, puiser l’eau, faire le ménage, etc.) ne soit ni considéré, ni valorisé, ni pris en compte dans le calcul du PIB (figurez-vous que ce serait possible) ? Que les espaces publics, les infrastructures et les infrastructures sociales ne soient pas conçus en tenant compte aussi des besoins, du bien-être et de la sécurité des filles et des femmes ? Que les institutions et la recherche ne produisent, ni ne tiennent compte de données genrées ?
Manque de données
J'avoue que je ne m'étais moi-même jamais posé la question en ces termes jusqu’à ce que je tombe sur le livre de Caroline Criado Perez, « Femmes invisibles. Comment le manque de données sur les femmes dessine un monde fait pour les hommes », First Editions (2020).
La citation suivante de Simone de Beauvoir résume bien les propos du livre : « La représentation du monde, comme le monde lui-même, est l’opération des hommes ; ils le décrivent du point de vue qui est le leur et qu’ils confondent avec la vérité absolue ».
Corps ignoré
Caroline Criado Perez démontre que cette situation est due à l’absence de données genrées ou à la non-prise en compte de ces données : la représentation des femmes ne se limite pas à leur présence ou non à certains postes ou dans certaines professions, cela a aussi à voir avec l’absence de données genrées !
Un exemple. Il y aurait moins de données sur le corps des femmes comparées aux données disponibles sur le corps des hommes. Beaucoup de spécialistes (médecins, chercheurs, scientifiques et techniciens) auraient ainsi pris l’habitude de penser que le corps des femmes serait une sorte de corps d'homme réduit!
Masculin « universel »
Dans ce monde où le masculin est considéré comme universel et le féminin « atypique », l’être humain de référence, celui censé représenté toute l’humanité, est un homme (blanc) entre 25 et 30 ans, pesant 70 kg. (A ce propos, je vous invite à faire une recherche dans Google Image sur l’anatomie humaine et dites-moi s’il vous semble que les représentations affichées sont équilibrées entre femme et homme).
D’accord ou pas, Caroline Criado Perez nous dit qu’il est plus que temps et urgent de récolter des données genrées dans TOUS les domaines et dans TOUTES les sphères, afin de tenir compte des femmes et d’éviter des situations où les solutions proposées leur soient au mieux désavantageuses, aux pires mortelles. Le livre de Caroline Criado Perez en répertorie un certain nombre, c’est édifiant !
Impact des quotas
« Si vous n’êtes pas conscient de la façon dont opèrent les préjugés, si vous ne récoltez pas des données, et si vous ne prenez pas le temps d’établir des procédures basées sur les faits, vous continuez à perpétuer aveuglément de vieilles injustices », rappelle-t-elle.
Avant de continuer, je voudrais m'arrêter sur un classique de la question de la représentation des femmes, la problématique des quotas qui ne fait l’unanimité ni chez les femmes, ni chez les hommes. Selon une étude récente de la London School of Economics, contrairement aux idées reçues, les quotas permettraient d’« éliminer les hommes incompétents » au lieu de promouvoir des femmes dépourvues de qualifications !
Exemple de la RDC
Quid de la situation en République Démocratique du Congo ? Le Ministère du Genre, Famille et Enfants est l’institution qui s’occupe de l’agenda genre en RDC.
Il faudrait l’interroger. Permettez-moi ici juste de vous partager mon expérience personnelle sur la question.
Les femmes et l'informatique
Prenons le cas des Sciences, Technologies, Ingénierie et Mathématiques. J’ai souvent entendu les hommes raconter que l’informatique n’intéressait pas les femmes.
Pour ce faire, ils se basent sur leurs expériences personnelles. Comme ils rencontrent peu ou pas de femmes dans les programmes et les évènements en informatique, ils en concluent que ce domaine ne les intéresse pas.
Talent naturel
Ils pensent aussi que nous serions dans ce domaine moins douées, moins déterminées et moins assoiffées qu'eux (comme si tous les hommes en informatique l’étaient !). A ce propos, Grace Hopper, une pionnière de l'informatique, expliquait que l'informatique, « c'est exactement comme organiser un dîner. Il faut s’organiser à l'avance et tout planifier pour que les éléments soient prêts quand on en a besoin. La programmation nécessite de la patience et une capacité à prêter attention aux détails. Les femmes ont un "talent naturel" pour la programmation informatique. »
Récolter des données
En janvier 2019, mon association Investing In People lançait la Base de données des Femmes dans les Sciences, Technologies, Ingénierie et Mathématiques en République Démocratique du Congo dans le cadre de la 6e édition de la Semaine de la Science et des Technologies (avril 2019). Il s’agissait pour nous de récolter des données pour comprendre les parcours de ces femmes afin de proposer des politiques au niveau de l’enseignement primaire, secondaire et technique pour augmenter le nombre de filles dans ces domaines.
Quelle n’a pas été ma surprise de découvrir que sur les 362 femmes inscrites (au moment de l'analyse), les informaticiennes étaient les plus nombreuses (23%) !
Biais informatique
La tendance montre bien que ce domaine, l'informatique, intéresse clairement plus les jeunes filles et femmes que les sciences physiques ou les mathématiques pures, par exemple. Mais alors, pourquoi sont-elles absentes des programmes et évènements en informatique ?
Se pourrait-il que la façon dont ces programmes et évènements sont présentés, promus, organisés et l’ambiance qui y règne tiennent à l’écart les femmes ? Avons-nous pris la peine d’interroger et d’écouter les filles et les femmes à ce sujet ? Si oui, qu’avons-nous fait des données récoltées ?
Violences et discriminations
C’est déjà un défi de convaincre les filles (et leur famille) de se lancer dans des études et des carrières dans les STEM en RDC, mais c’est encore plus difficile de les garder. À moins d'être protégées, elles ont de fortes chances d'être victimes de violences et de discriminations d'un professeur, d'un assistant ou d'un collègue.
Lorsque je les interroge sur ce point, elles disent être encore capables de « gérer » ces situations en s’appuyant sur le travail pour forcer le respect. Mais, la difficulté majeure pour elles reste l’accès au financement pour les études, la recherche ou la participation à des évènements scientifiques.
Proposer des bourses
Ce serait la principale barrière à l'avancement de leurs carrières. Nous basant sur ces informations, nous nous sommes associés au Sultani Makutano de Nicole Sulu pour proposer des Bourses pour les Femmes dans les Sciences, Technologies, Ingénierie et Mathématiques en RDC. Les 20 premières lauréates de ces bourses ont été annoncées en avril 2020.
Plus nous récolterons des données genrées, mieux nous aborderons la problématique de la représentation des femmes aux bénéfices des femmes et des hommes. Vous pouvez évidemment questionner notre démarche.
De bons arguments
Pourquoi faudrait-il lutter pour faire sortir la moitié de l’humanité du néant dans lequel elle a été plongée ?
Voici quelques arguments glanés dans le livre de Caroline Criado Perez : « lorsque nous excluons la moitié de l’humanité de la production des connaissances, nous passons à côté de renseignements qui peuvent être à l’origine de bouleversements » ; « les femmes mettent fréquemment à l’ordre du jour du processus de paix des problèmes importants que les élites masculines tendent à négliger, comme l’inclusivité et l’accessibilité des processus et des institutions, ainsi que l’importance des sphères locales et informelles » ; « une analyse récente de données quantitatives a mise au jour des "preuves convaincantes" que les pays où les femmes sont tenues à l’écart des positions de pouvoir et traitées comme des citoyens de seconde classe ont tendance à être moins paisibles ».
Vous n’êtes bien entendu pas obligés de nous croire. Faites-vous donc votre propre expérience en commençant par remédier à l’absence de données genrées !
To be continued ...
Science is fun, join us ! 😊
Ce billet a d'abord été publié sur LinkedIn.