L'Afrique a besoin de femmes scientifiques.
J’écoutais récemment le débat africain animé par le journaliste Alain Foka sur RFI. L’édition portait sur la place des Africaines dans les sciences avec quatre brillantes scientifiques africaines.
Il y avait Madame Ameenah Gurib-Fakim, chimiste et ancienne présidente de la République de Maurice. C’est une scientifique que j’admire. Je vous conseille son TED Talk de 2014, « D'humbles plantes aux vertus surprenantes », qui a été vu plus de 1 million de fois !
Des jeunes talents
Avec elle, nous avions Valérie Gbonon, chercheuse ivoirienne sur la résistance bactérienne aux antibiotiques et membre du jury For Women In Science 2020 de la Fondation L’Oréal et l’UNESCO ; Younoussa Haifaou, doctorante en génétique à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar et gagnante du Prix Jeunes Talents For Women In Science 2020 ; et last but not least, Nadège Taty de la République Démocratique du Congo, doctorante en Sciences (écologie et santé) et gagnante elle aussi du Prix Jeunes Talents For Women In Science 2020 (inutile de vous dire à quel point nous sommes fiers d'elle).
Plusieurs points ont été abordés lors de ce débat et je voudrais ici apporter quelques éléments pour l'alimenter.
Manuels scolaires
La première question qui a été abordée était de savoir pourquoi il y avait si peu de femmes dans les sciences. Les participantes ont rappelé à juste titre les pesanteurs socioculturelles, les stéréotypes, l’autocensure, le manque ou le peu de champions, et, je rajoute, de championnes pour pousser les filles et les femmes à se lancer dans des études et carrières dans les sciences, les technologies, l’ingénierie et les mathématiques (STEM en anglais). Elles ont aussi évoqué l’absence des femmes africaines dans les manuels scolaires et je voudrais m’arrêter sur ce point.
Les femmes sont bien les grandes absentes des livres d’histoire des sciences, n’ont pas parce qu’elles n’y ont pas contribué, que du contraire, mais parce qu’elles ont été systématiquement mises à l’écart, ignorées et spoliées des résultats de leurs recherches. Ils n’ont pas pu faire subir ce triste sort à la célèbre Marie Curie, mais ils n’ont pas été tendres avec elle non plus !
Contributions de l'Afrique
Mais l’histoire des sciences a aussi oublié et spolié les contributions de l’Afrique. Dans ce contexte, vous imaginez bien lorsque l’on est une femme et que l’on est africaine, on porte une double tare. Mais heureusement, des actions et des mesures sont prises pour changer la situation.
Prenons le cas de la République Démocratique du Congo. Depuis environ 10 ans, une réforme holistique du système éducatif est en cours. Les programmes éducatifs de sciences et de mathématiques en particulier, sont modernisés afin d’avoir des programmes, certes alignés sur les standards internationaux, mais inscrits dans des réalités contextuelles.
Personnages locaux
Ainsi, les équipes du Ministère en charge de la modernisation de ces programmes sont conscientisées sur la nécessité de présenter aussi souvent que possible des personnages locaux, hommes et femmes, filles et garçons, actifs dans les situations de développement des compétences.
Récemment, avec la fermeture des écoles à la suite de la pandémie de COVID-19, nous avons lancé le programme Apprendre à la Maison pour permettre aux apprentissages de se poursuivre à distance. Il s’agit de capsules vidéo et audio qui abordent de façon ludique et originale des concepts clés à l'attention des élèves, des parents et des enseignants.
Youtubeuses scientifiques
À ce jour, 143 vidéos et 1 podcast ont été préparés par 19 enseignants, étudiants et entrepreneur congolais, dont 11 femmes ! Il s’agit d’une démarche volontaire. Nous tenions à avoir des Youtubeurs scientifiques congolais dont une majorité de femmes, afin de casser les stéréotypes, de démystifier ces matières scientifiques et de les rendre accessible à tous, filles et garçons. Et ça marche !
Les élèves et les enseignants apprécient nos capsules et nous demandent de les produire dans toutes les langues nationales de la RDC (les capsules sont en français et quelques-unes sont bilingues français-lingala). Ce qu’ils apprécient c’est que ces contenus leur sont présentés par des personnes et dans un langage qui leur sont familiers. C'est de cette manière que nous préparons les futures générations de scientifiques africains et africaines qui auront ainsi évolué sur cette question.
Manque de financements
Le débat a continué en abordant le problème du manque d’écosystèmes pour permettre le développement de la recherche scientifique en Afrique. Les participantes ont rappelé, martelé l’importance de financer la recherche, de protéger les résultats de la recherche, et de promouvoir et valoriser les travaux de recherche en Afrique.
Sur ce point, le Gouvernement de la République Démocratique du Congo n’est pas le meilleur élève. Nous sommes loin de réserver 1% de notre PIB à la recherche et à l’innovation. Le budget de la recherche (tout comme celui de l’éducation) finance essentiellement les salaires.
Initiatives intéressantes
Il y a très peu ou pas d’investissement. Ceci est extrêmement dommageable et devrait être notre priorité. Il faut augmenter le budget de la recherche et de l’éducation, et l'orienter vers les investissements.
Cela dit, il y a des initiatives publiques et privées intéressantes. Sans être exhaustive, nous avons la Semaine de la Science et des Technologies organisée en RDC depuis 2014 avec les Ministères en charge de l’éducation et de la recherche scientifique, où les centres de recherche, les instituts d’enseignement supérieur et universitaire, et les chercheurs indépendants, viennent présenter leurs travaux et résultats de recherche aux milliers de visiteurs, élèves, enseignants, étudiants, parents, qui arpentent chaque année le Village des Sciences. Il s’agit ici de promouvoir les savoirs et savoir-faire congolais et africains dans les domaines techniques et scientifiques, et de susciter de vocation.
Réseaux et magazines
Nous avons le Sultani Makutano organisé chaque année depuis 2015 par le réseau d’affaires congolais du même nom, qui rassemble des acteurs des secteurs privé et public congolais et africains pour réfléchir sur de nouveaux partenariats pour soutenir le développement des industries. De plus, le Sultani Makutano et mon association, Investing In People ASBL, ont lancé en 2019 des Bourses pour les Femmes dans les Sciences en RDC. Quinze scientifiques congolaises ont bénéficié de ces bourses en 2020 dans les 3 catégories, fonds de recherche, bourse étude (Licence, Master et Doctorat) et bourse pour la participation à une rencontre scientifique internationale.
Nous avons également des magazines comme RDC Logos initié par le Dr Serge Mbay qui a signé un partenariat avec le Ministère de la Recherche Scientifique et Innovation pour promouvoir les résultats de la recherche congolaise.
Next Einstein Forum
Au niveau du continent, il ne faut pas perdre de vue l’initiative Next Einstein Forum (NEF) qui bâtit une communauté de scientifiques africains composée d’Ambassadeurs et Ambassadrices, un par pays, qui sont des champions des sciences dans leur pays respectif, et des Fellows, qui sont des scientifiques africains et africaines reconnus dans leur domaine.
Le NEF a aussi lancé en 2018 un journal scientifique, Scientific African Magazine, qui documente les développements scientifiques et technologiques en Afrique et des Africains. Ce journal aborde aussi la question des investissements de l'Afrique dans la science et la technologie.
Solutions adaptées
Il est clair qu’il faut une démarche plus systématique, plus englobante et un fort investissement des gouvernements, mais le travail réalisé ces dernières années va dans le bon sens.
Oui, « l’Afrique doit développer ses propres solutions adaptées à son environnement, trouver des réponses appropriées et soutenir ses chercheurs », et comme l’a rappelé Madame Ameenah Gurib-Fakim, les gouvernements doivent jouer le rôle. Pourquoi ?
Recherche fondamentale et appliquée
Dans la recherche, il y a la recherche fondamentale et la recherche appliquée. Comme cela a été dit durant le débat, chercher, c’est prévenir, c’est anticiper. On cherche pour développer des applications au bénéfice des populations.
Mais on cherche aussi pour accumuler des connaissances sans autre objectif. C’est là que la révolution doit encore se faire en Afrique !
Rôle des gouvernements
Le rôle des gouvernements est de s’assurer que la recherche fondamentale se fasse dans les meilleures conditions possible en Afrique, tout comme la recherche appliquée qui se développe en dialogue avec le secteur privé et les partenaires.
Ameenah Gurib-Fakim a eu cette phrase durant le débat : « une équipe de football ne peut pas gagner un match avec 52% de son équipe sur la touche ». Pour l’Afrique, c’est un suicide collectif de continuer à maintenir ses filles et ses femmes en dehors des domaines techniques et scientifiques.
Pour l'Agenda 2063
L’Afrique a besoin de bataillons de mathématiciennes, de physiciennes, d’informaticiennes et d’ingénieures si elle veut réaliser son Agenda 2063, L’Afrique que nous voulons. Elle a besoin de scientifiques, homme et femme, à tous les échelons jusqu’aux plus hauts niveaux de décision.
Alors, chers Africains, chères Africaines, je nous pose la question qui est la devise du Sultani Makutano, "If we don’t, who will?"
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Cet article a d'abord été publié sur LinkedIn.