Yvonne Mburu, née au Kenya, est devenue une spécialiste du cancer aux États-Unis, puis en France. Elle se consacre aujourd'hui à mettre en lien les chercheurs africains du monde entier.
Pourquoi avez-vous quitté l’Afrique pour votre doctorat ?
C’est plutôt par chance. J’ai eu la chance d’aller au Canada après mes études au lycée. J’ai eu une bourse partielle pour aller à York University où j’ai étudié la biologie et la chimie. Après j’ai eu une bourse complète pour aller à l'université de Pittsburgh, aux États-Unis. Et là j’ai fait mes études doctorales en immunologie. J’ai étudié le système immunitaire et pourquoi ça ne soigne pas en cas de cancer. Après, j’ai postulé un peu partout dans le monde et j’ai eu l’opportunité d’intégrer une équipe à l’institut Curie qui travaillait encore sur les questions d’immunologie et cancer. Donc pourquoi le système immunitaire n’arrive pas à soigner un cancer comme toute autre maladie?
Pourquoi n’avez-vous pas choisi de retourner en Afrique ?
J’ai eu justement cette envie de rentrer dans mon pays en 2012. Ma tante est morte d’un cancer et ma famille me demandait à chaque fois : « Tu fais des études de recherches sur le cancer, qu’est-ce que tu peux faire pour ta tante, ton pays et ton continent ? ». Et j’ai eu ce moment qui m’a interpellé. Comment ça se fait que la recherche que je fais n’est pas forcément appliquée aujourd’hui en Afrique. J’ai voulu rentrer mais c’était très difficile de trouver des laboratoires qui faisaient la même recherche que je faisais en France. Et c’est à ce moment-là que j’ai décidé de lancer mon projet qui est une plateforme de la diaspora africaine et des Africains eux-mêmes. L’idée c’est de cartographier, savoir qui est où et qui fait quoi pour que l’on puisse créer des vrais liens entre les gens, des réseaux de connaissances sur le même sujet. Des fois même des sujets transversaux qui touchent une maladie mais traité par différents spécialistes. De savoir aussi comment promouvoir la recherche africaine qui n’est pas valorisée comme il faut et donc avoir cette communauté mondiale et qui travaille ensemble d’une manière organisée. Aujourd’hui, il n’existe pas vraiment de système qui nous rassemble comme ça.
Avez-vous des projets de retour en Afrique ?
Je suis toujours en France, j’ai fait un petit peu de testing des gens pour voir en fait est-ce que c’est possible vraiment. Moi je ne crois pas que la plupart des gens vont rentrer. Je pense qu’à un moment donné, on s’est établi à l’étranger et c’est très difficile de revenir travailler en Afrique, surtout dans les sciences et la médecine où il y faut quand même un niveau d’infrastructures très élevé pour pouvoir exercer son métier correctement, qui n’est pas forcément présent partout en Afrique.
Que diriez-vous aux jeunes Africains qui font leur doctorat en Europe et veulent retourner en Afrique ?
Ce qui est bien avec ma plateforme, c’est qu’on rassemble des gens à la fois en Afrique et à l’étranger. Et donc les gens qui ont envie un jour de travailler en Afrique, de rentrer en Afrique, ou même juste d’avoir des projets avec des sujets qui sont traités ici en Afrique, avec des chercheurs Africains. Ça leur donne cette opportunité de se retrouver, chacun s’inscrit avec ses identifiants. Là on peut par exemple dire : "Je suis immunologue kényane et je cherche d’autres immunologues qui sont peut-être en Zambie, en Afrique du Sud, au Niger, etc." Cela permet de savoir ce qui se passe en Afrique pour les gens qui sont à l’étranger, et pour ceux qui sont en Afrique, de savoir où est telle ou telle personne dans le monde. C’est un lieu qui permet de se retrouver.
Propos recueillis par Anthony Audureau